Anna Nałęcz-Mikulska vient au monde à Cracovie en 1987, laissant ébahis sa mère, âgée de 45 ans, son père, âgé de 60 ans et 6 demi-frères et sœurs de deux mariages précédents (pour chaque parent) parmi lesquels le plus âgé avait déjà 33 ans (oui, l’arbre généalogique est compliqué chez Anna) …
Elle grandit à Nowa Huta, en français « La Nouvelle Fonderie », un quartier de Cracovie, éloigné de 12km du centre historique de la ville, formant une ville à part entière. C’était la ville rêvée des communistes, aux murs gris et formes néo-classiques droites et austères, qui jouxte la grande usine métallurgique. L’objectif avoué des communistes en créant cette ville, était de diminuer l’influence de Cracovie, le centre culturel et universitaire de Pologne, qui résistait à l’idéologie stalinienne. La vie de Nowa Huta tournait donc autour des familles ouvrières.
Chez Anna, deux autres mondes se croisaient : le monde de la vielle aristocratie polonaise du côté de son père, homme d’affaires à qui les divorces ont coûté très cher et le monde de la bourgeoisie ambitieuse de Częstochowa du côté de sa mère, médecin anesthésiste à l’hôpital. C’est à ce mélange extraordinaire de trois mondes qu’Anna attribue sa capacité de se sentir à l’aise dans n’importe quel entourage.
Une des choses considérées comme importantes pour les communistes était la musique accessible à tous. C’est ainsi qu’au milieu des immeubles tous identiques, une poignée de courageux a décidé d’ouvrir une école de musique. À l’époque c’était une idée aussi ridicule que folle mais elle est devenue aujourd’hui une des plus prestigieuses écoles spécialisées en Pologne, associant l’éducation générale à l’éducation musicale, de l’école élémentaire jusqu’au baccalauréat.
La tante et nounou d’Anna, couturière, chante tout en travaillant et la petite apprend ainsi rapidement les nombreuses mélodies. Déterminée, la tante réalise une cape et une jupe rouges et inscrit son Petit Chaperon Rouge au concours à venir. Le jour du concours, Anna, âgée alors de 5 ans, est frappée d’une très forte fièvre mais s’obstine à faire partie du concours et le gagne. La pianiste qui l’accompagne constate que « si elle monte sur scène alors qu’elle est si malade, elle sera artiste ! ». La tante se met donc en tête qu’il faut l’inscrire dans l’école de musique ZPSM im.Mieczysława Karłowicza et les parents, inconscients du danger, se disent que, « une fille qui fait de la musique, ça fait bonne impression dans une bonne maison ». Anna a 6 ans lorsqu’elle se présente parmi 120 enfants aux examens d’entrée pour une classe de 25 élèves. Le jury constate qu’elle chante juste et donc pourra jouer d’un instrument où on doit « chercher » les notes comme le violon, mais elle est grande et donc le violoncelle sera plus approprié. En plus elle porte le même nom de famille qu’un grand violoncelliste polonais et cela les fait beaucoup rire. Les parents d’Anna, toujours inconscients des heures de travail quotidiennes - même pendant les vacances - et le défi de caser un violoncelle dans une voiture, sont d’accords.
Pendant 11 ans Anna prend deux fois par semaine les cours de violoncelle avec le professeur Zenon Łacny, qui avec le temps, en voyant le caractère et la volonté d’Anna, essaie de la décourager en lui disant « Franchement, laisse tomber le violoncelle, cela ne sert à rien ». Pédagogie pour le moins curieuse.
Entre temps le père d’Anna décède quand elle a 14 ans et un an plus tard, sa mère subit une opération du cœur puis fait un accident vasculaire cérébral qui la paralyse. La jeune Anna apprend à vivre entre l’école, l’hôpital et la maison. « Heureusement », elle porte le même nom que sa mère et peut donc récupérer les lettres et gérer le compte bancaire du foyer.
Elle a 17 ans quand elle se présente à un concours à Rzeszów et reçoit une ovation du fond de la salle de la part de son nouveau professeur, Marcin Bielawski, qui lui avoue « Tu t’es cassé la figure dans la deuxième mesure mais tu as continué jusqu’au bout. Moi, je serais sorti. » Quelques mois plus tard, elle tente son rêve : poursuivre ses études à la prestigieuse Académie de Musique de Cracovie.
Mais alors que « tout le monde » considère que les jeunes musiciens de Nowa Huta n’ont aucune chance d’y entrer - il n’y a que trois places en violoncelle pour une centaine de candidats - elle réussit les examens d’entrée avec une des notes les plus élevées et représente l’établissement lors de la célébration de la nouvelle année académique en direct à la télévision.
Un an plus tard, elle revient d’une académie d’été amoureuse d’un Français qu’elle a rencontré lors d’un stage de musique. Zdzisław Łapiński, son professeur de violoncelle, qui a toujours soutenu l’esprit libre d’Anna, sent le vent tourner et propose à Anna de tenter l’entrée à l’École Normale de Musique de Paris. Deux mois plus tard, elle part pour étudier à Paris avec Paul Julien en confondant « bonjour » avec « merci ». Elle y reste un an et obtient le Certificat d’Aptitude. Deux ans plus tard, avant de finir ses études à Cracovie, Anna écoute son cœur pour suivre son compagnon et s’installe à Nantes en parlant un français toujours aussi approximatif. En 2005, elle termine ses études à Cracovie et obtient le Master en Arts.
Entre temps elle vit son expérience professionnelle la plus incroyable : à 23 ans seulement, elle est engagée dans l’orchestre « Orchestra of Life », l’orchestre personnel d’un des plus grands violonistes de notre temps, Nigel Kennedy. Avec cet orchestre, elle réalise de nombreuses tournées et joue dans les plus grandes salles d’Europe : la Philharmonie de Berlin, le Royal Albert Hall de Londres, le Palais des Congrès de Paris, pour ne citer que celles-ci.
En 2006 elle suit son compagnon pour vivre à Poitiers. Anna se sent perdue dans sa nouvelle réalité et prend quelques cours au Conservatoire de Poitiers, puis au CESMD, en s’initiant au violoncelle baroque et à la viole de gambe, sa grande passion. Finalement, son diplôme polonais est reconnu en France et elle enseigne au Conservatoire de Rochefort et de Lencloître, dans des écoles de musique de la Vienne, joue de temps en temps à l’orchestre de l’Opéra de Limoges et forme un quatuor à cordes, le Quatuor Volubilis. C’est alors qu’elle rencontre Philippe Argenty…
Philippe Argenty naît en 1984 dans les hauts plateaux pyrénéens, à la frontière entre la France, l’Espagne et l’Andorre. Vous avez sûrement envie de lire qu’il naît dans une famille de musiciens... Les quatre grands-parents de Philippe étaient bouchers-charcutiers depuis 5 générations et le seul piano qu’ils touchaient était celui qui permettait de préparer, entre autres, une paëlla pour 400 personnes pour la fête du village : Osséja.
Philippe a pour passion la nature et très rapidement, Tom Sawyer devient son surnom.
Scout passionné, il est grand et fort et il le sait. Pour cette raison, il ne répond pas aux harcèlements de ses camarades, ce qui lui coûte plusieurs changements d’école, jusqu’au jour où il casse le genou d’un de ses camarades sans le vouloir. À partir de ce jour, sa vie devient plus paisible.
Sa mère l’inscrit au cours de piano à l’âge de 6 ans mais le trois-pièce marron acheté pour le premier concert ne lui plaît pas du tout. Les premières pédales qui l’intéressent c’est le vélo. Il remporte les courses de plus en plus importantes mais finalement à 16 ans il constate que cette occupation n’est pas assez complète pour lui. Cela fait déjà quelques années qu’il aide son père à la boucherie et postule pour devenir commis du chef au restaurant du village voisin. Pour examen d’entrée, il lui est demandé de réaliser une omelette, plat simple en apparence mais destiné à une table de restaurant. Il devra manger chaque omelette ratée. Il en mange cinq et devient un expert en omelette à vie (pour la plus grande joie de sa famille). Le monde de la cuisine le passionne et il fait deux saisons dans le restaurant Planes – institution gastronomique régionale - avec beaucoup de succès. Malheureusement, une maladie de peau aux mains, incompatible avec les détergents de cuisine, l’empêche de continuer cette carrière.
C’est au moment où ses parents commencent à se demander quoi faire de ce garçon qu’il entend une des Rhapsodies de Franz Liszt joué par György Cziffra à la radio et à l’âge de 18 ans, décide de devenir pianiste. La surprise est telle autour de lui que personne n’ose s’opposer. Au bout d’un an d’apprentissage accéléré au Conservatoire de Perpignan, des journées entières passées au piano et en cours de solfège, Philippe part pour Paris. Là-bas il suit un cursus intensif, avec une heure de cours de piano par jour, six jours sur sept.
De retour dans ses Pyrénées natales au bout d’un an et demi, il rencontre Oxana Yablonskaya, légendaire pianiste, échappée miraculeusement d’Union Soviétique. En fin de carrière, elle s’est installée dans les Pyrénées et… assure sa maison chez l’oncle de Philippe qui organise la rencontre.
Elle fait appel à Philippe pour son festival de piano qu’elle organise dans la région et il accepte. Cette expérience fait naître en lui une autre passion qui est l’organisation de festivals de musique.
C’est également elle qui va présenter à Philippe celui qui est devenu son mentor, Stanislav Pochekin. Le grand professeur est intrigué par ce jeune homme qui a autant de retard dans son apprentissage par rapport aux autres étudiants de son âge que de volonté pour combler ses lacunes et le prend dans sa classe au Conservatoire du Liceu à Barcelone. Comme un défi de fin de carrière. En 2011, Philippe obtient sa Licence et le professeur Pochekin le félicite et lui dit : « Maintenant, avec ton diplôme et un ticket de métro, tu peux prendre le métro ». La remarque est capitale pour Philippe, qui comprend que seule la scène saura lui donner l’expérience du concert et il quitte alors le conservatoire après 6 années passées à Barcelone.
Très vite, Philippe se rend compte que donner des concerts n’est pas chose facile car la plupart des lieux n’ont pas de piano. Il commence donc à transporter son propre piano, d’abord à la main avec son père, puis quelques années plus tard, se procure une machine. Cela lui permet de jouer où et quand il le veut, d’organiser concerts et festivals et de porter la musique aux oreilles de tous les publics. Son piano à queue, démonté, mis sur le champ enveloppé d’une « chaussette » artisanale fabriqué par le jeune pianiste, est alors prêt à être monté sur scène en trente minutes et devient le fidèle compagnon du pianiste pour ses concerts en France et en Europe.
Toujours passionné par Franz Liszt, il joue en 2011 le deuxième Concerto du compositeur hongrois avec l’orchestre Conjunt XXI de Barcelone, comme un rêve assouvi.
Poitiers doit être la capitale de l’amour car Philippe, lui aussi, vient s’y installer en 2012, pour une femme. Il a envie d’organiser des concerts dans la région et toque à toutes les portes, cherche des collègues et se fait remarquer avec son accent du sud aussi charmant qu’incompréhensible. Il a entendu parler d’un quatuor à cordes et c’est là que l’histoire du Duo Fortecello commence…
Duo Fortecello
Philippe Argenty, pianiste, appelle le Quatuor Volubilis en 2013 pour proposer une collaboration autour du quintette de Johannes Brahms. Les musiciens commencent à travailler ensemble et donnent quelques concerts. Mais mettre cinq personnes d’accord n’est pas si simple que prévu et donc en 2014 Anna, la violoncelliste du quatuor, propose un travail à deux avec le programme qu’elle avait en tête depuis des années : le « tour du monde en violoncelle et piano ». Philippe accepte et les répétitions commencent. Au bout de quelques semaines, le programme est prêt et les concerts s’enchaînent.
Un jour qu’Anna entend Philippe parler d’un concert qu’il va donner en Italie, la violoncelliste demande à son pianiste de l’amener avec lui, même pour porter la valise. Le pianiste, surpris, répond qu’il va proposer à l’organisateur un deuxième concert avec le duo.
Anna ne croit pas que Philippe va l’emmener et Philippe ne croit pas qu’Anna viendra. Trois mois plus tard, sous le soleil brûlant de la Toscane le concert du jeune duo est arrosé de limoncello maison, produit par la « Mamma » de l’organisatrice. Les deux musiciens, éméchés, soudain très à l’aise en italien, constatent que « pianoforte, violoncello et limoncello » pourraient donner Fortecello.
La muse d’Anna reste un de ses frères : l’exact opposé d’elle-même, amateur de bière, de barbecue et de motos. Il a toujours regardé avec beaucoup de méfiance cette fille bizarre qui passe des heures à « scier ce bout de bois ». Anna constate ainsi que c’est la clé vers le monde extérieur : choisir, décortiquer et présenter la musique classique de telle manière que même son frère pourrait apprécier.
Avec le Duo Fortecello, Anna peut enfin mettre à exécution son plan car Philippe s’avère être le premier pianiste qu’elle croise qui partage cette vision et pratique cela lors de ses propres récitals.
Anna commence donc à tisser des programmes très variés, ose y mettre un peu de tout, une pièce contemporaine, puis une sonate, puis un tango, une valse, une pièce virtuose, un bis après un bis. Le tout bien expliqué, avec des mots simples, pour montrer que cette musique, aussi complexe et riche qu’elle soit, est écrite par des personnes vivantes, qui raconte une vraie vie et peut apporter un moment de douceur et de plaisir à chacun. Le compositeur lointain devient un voisin qui a un faible pour les femmes et le jeu et le musicien froid et inaccessible devient un ami compréhensif et à l’écoute. Le concept plaît énormément au public et aux organisateurs et les propositions de concerts se multiplient. Les tentatives d’engager un manager donnant des résultats assez pathétiques, Philippe travaille également en tant que représentant du duo. Il sait le mieux expliquer la mission du Duo Fortecello.
Le premier disque « Tour du Monde en violoncelle et piano Opus 1 » sort en 2015. Leur complicité sur scène est telle que les organisateurs ne prévoient souvent qu’une seule chambre ou une seule bouteille de vin. Petit à petit, de collègues ils deviennent amis et puis d’amis - des amoureux.
Les photos commandées en 2015 chez les artistes photographes polonaises de Strefa Zmian sont reconnaissables entre mille. Sur les photos, Anna est au deuxième mois de grossesse.
Les concerts s’enchaînent, le duo donne une centaine de concerts par an, partout en Europe, mais aussi en Chine, en Tunisie et aux USA.
Leur mission de rapprocher tous les publics à la musique classique se traduit également par des concerts donnés dans des EHPADs et dans les écoles et collèges.
Aux nombreux « Tours du monde » se joignent des nouveaux programmes comme « La sonate j’aime pas, mais ça j’aime ! », « Ange ou démon ? », « Classic meets tango » et des concerts-spectacles pour les enfants : « Musiques du monde », « Le piano », « Le romantisme », « Pablo Casals », « Difficile ou facile ? » et « Amour sans frontières ».
Une nouvelle série de photos chez Strefa Zmian annonce le deuxième album en 2018 « Soul of nations » paru chez KNS Classical. Entre temps le duo devient Mr et Mme Argenty dans la vie privée et leur deuxième enfant voit le monde.
Leurs enfants, contrairement à tout ce que vous pouvez imaginer, sont très heureux, voyagent beaucoup et puis surtout, chez leur Nanou adorée, il y a un barbecue, une piscine, des chats et beaucoup, beaucoup d’amour. Et chez Papi et Mamie, c’est bien connu, les enfants sont rois ! Et personne ne sait s’ils seront musiciens…
Chaque été les deux musiciens prennent leur rôle de directeurs artistiques de deux festivals, Musique et Patrimoine en Vienne et Gartempe dans la Vienne et Les Clés du Classique dans les Pyrénées-Orientales.
Vous savez tout !